Le nouveau filme Imax sur les caribous ne montre que la vision d’un étranger du Grand Nor
MONTREAL — Les films IMAX créent en général une avalanche d’images impressionantes, mais le film “Le Grand Nord” ne soulève que des interrogations dans son sillage.
Ce film de 40 minutes a eu sa grande première canadienne à Montréal cette semaine, en anglais ainsi qu’en français, devant un auditoire qui comprenait plusieurs Inuit de la région de Nunavik.
Plusieurs d’entre eux en sont sortis avec des questions telles que…est-ce que ce film mérite les 12$ qu’on paie pour le voir? Est-ce que la production du film vaut les six millions qu’elle a coûtés? De quoi exactement s’agit-il? Et pourquoi les Inuit y sont-ils dépeints tel des îcones au lieu d’êtres de chair et d’os du 21ième siècle?
Au départ, “Le Grand Nord” était censé être un film sur les milliers de caribous qui vivent dans le Nunavik. L’histoire de ce noble “Tuktu” devait être intitulée “Le Symbole du Grand Nord.”
Mais durant les trois années de production, le sujet initial du film a été transformé en une production aux visées plus larges qui est devenu, en bout de ligne, moins riche en contenu qu’à son début.
Le directeur-producteur Martin Dignard défend ce changement en arguant que les vastes rassemblements de caribous n’étaient pas capables de porter le film tout seul.
“Ils sont ‘sexy’ en groupe, mais, à part ça, ils courent, ils mangent et ils broutent, et c’est tout’, ajoute-t-il.
La somme d’argent que le Musée national d’histoire de la Suède désirait investir dans la production a fait en sorte que son champ de préoccupations s’est élargi pour inclure les Sami et leur élévage de rennes.
M. Dignard défend cette bifurcation en cours de route, disant qu’elle n’a toutefois pas créé un effet “pi a” IMAX, composé d’images plus diversifiées les unes que les autres.
Mais ceux qui iront voir “Le Grand Nord” risquent de sentir que c’est précisément ce qu’ils reçoivent en pâture en échange de leurs 12 dollars.
Au moins, durant les 20 premières minutes, les spectateurs trouveront-ils que le film est conforme au projet initial. Les scènes y montrent le sujet de départ – les caribous- et des images formidables de troupeaux en migration dans les montagnes Torngat ainsi que la naissance d’un caribou.
Voilà le genre de sons et d’images qu’un film IMAX livre habituellement sur ses écrans géants. Pour produire des effets visuels spectaculaires, l’équipe d’IMAX utilise des caméras particulières qui cadrent le film plus large et plus vite que la normale. Dans “Le Grand Nord,” la technique IMAX produit des scènes particulièrement saisissantes de caribous en action.
Et cela m’amène à dire que lorsque le film se concentre sur les caribous, il réussit à intéresser, mais lorsqu’il déroge et que le centre d’intérêt se retrouve divisé entre les caribous et les rennes, les Inuit et les Sami, le Québec et la Suède, il devient moins percutant.
Toutefois le contenu le plus intéressant du film provient des images prises en Suède. Certaines images dépassent l’aspect visuel pour en arriver à donner un portrait magnifique de la vie du peuple Sami. Les tournages faits au nord de la Suède montrent le présent et le passé des Samis, leurs rennes, leur culture et même leurs chansons traditionnelles : les joik.
Cette partie a été tournée en collaboration avec le Sami John E. Uutsi qui est aussi documentariste et éléveur de renne. Nous sommes témoins de la vie Sami avec ses yeux. On y voit un vieil éleveur de renne et chanteur-maître des joik, Apumut Kuolojuk, y faire le lien entre les moeurs d’hier et d’aujourd’hui.
Ce n’est pas du tout le cas en ce qui concerne les Inuit du Nunavik qui ont l’air drôlement stylisés et silencieux dans le film, comme s’ils étaient des comédiens dans un vieux film ou bien des personnages de dessins animés.
Les gens du Nunavik qui ont assisté à la première la semaine dernière n’étaient pas du tout impressionnés par les images des Inuit qui sont véhiculées dans le film. On y est bombardé de scènes de vieux longs métrages de ´ Nanook dans le Nord ª en train de chasser, jumelées à des images plus récentes de son grand-fils Adamie Inukpuk.
M. Inukpuk, qui travaille pour la Commission scolaire de Kativik à Montréal, est un comédien expérimenté. Il a participé à la réalisation d’autres films, entre autres L’Amaruk et Kabloonak, mais il n’est toutefois pas capable de sauver le film.
Une scène vient surtout à l’esprit : il y a rassemblement dans un igloo d’Inuits qui s’amusent à produire les chants de gorge et où tout le monde est habilléde vêtements d’une propreté éclatante et de luxueuses fourrures.
Tout se passe comme dans les vieux westerns où on ne voit jamais aucune trace de poussière sur les cowboys.
Par contre, les Sami sont montrés devant un repas typique, fait de viande de renne et de fromage de renne, qu’ils mangent dans une tente-“lavvu” traditionnelle. Tout le monde, y compris un jeune enfant, ont l’air authentiquement affamés et un peu chétifs. Ils sont habillés, selon la coutume des Sami, de vêtements contemporains ornés de quelques touches traditionnelles.
De plus, les scènes de vie Inuit s’égarent car elles ne montrent pas vraiment les traditions qui se rattachent aux caribous. Le film ne montre pas l’importance du caribou dans la vie Inuit, pour sa fourrure, sa viande et ses os qui servent aux sculptures, ainsi que pour la chasse domestique et la chasse commerciale.
Le film ne fait montre que d’un mélange d’activités photogéniques, qui ne sont pas pour autant reliées aux caribous et qui ne sont pas pratiquées tous les jours, telles que la cueillette des moules sous la glace et la construction d’un igloo.
“Le problème, c’est qu’ils n’ont pas regardé les choses d’un point de vue Inuit, mais comme des Qallunaat,” de dire une jeune femme Inuk.
On peut imaginer ce que serait devenu ce film IMAX si un cinéaste inuk tel que Zach Kunuk — dont les longs métrages font revivre le passé- avait été impliqué dans la production.
Tel qu’il est, “Le Grand Nord”- avec ses longs passages sur des paysages de froidure- ne montre que la vision d’un étranger du Grand Nord.
Et puis, il y a la trame musicale, qu’on dit ” musique du monde,” mais qui est plutôt un assemblage de chansons traditionnelles Sami qui ne vont pas du tout avec les séquences d’images Inuit.
C’est vrai que produire le film était un défi en soi. Les caméras IMAX sont lourdes, et les opérer demande le labeur de trois personnes. Le poids du matériel a été un handicap lors des tournages sur les caribous parce que l’équipe devait rester sur place et ne pouvait poursuivre les animaux avec la caméra.
Ces caméras ne sont capables de prendre que trois minutes d’images à la fois. Cinq tonnes d’équipement ainsi qu’une tonne de film ont donc été transportés à travers le Nunavik par avion, hélicoptère et motoneige. Les hélicoptères seul ont demandé 300 barils de 45 gallons d’essence.
De plus, l’équipe a eu de la difficulté à trouver les caribous. M. Serge Couturier, biologiste au ministère Environnement et Faune du Québec, se souvient avoir reçu un appel désespéré du producteur qui requérait son expertise pour trouver un grand troupeau de caribous au Nunavik.
Ceux qui n’ont jamais vu le Grand Nord semblent trouver le film excellent.
Le journal La Presse dit : “ne pas voir le Grand nord serait ne jamais voir ce pays qui est aussi le nôtre”… “un chef-d’oeuvre de la cinématographie.” Le film remportait récemment le Grand Prix du Jury du festival de la Géode à Paris, événement dédié aux productions IMAX.
“Le Grand Nord” est maintenant à l’affiche en anglais et en français à Montréal jusqu’en juin 2001. Il y a également un site internet à www.great-north.com.
Parmi ceux qui ont contribué financièrement au projet on retrouve Hydro-Québec, Falconbridge Ltée., Tourisme Québec, First Air et Tourisme Nunavik.
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