Une infirmière inuk prétend que les règlements du Québec sont discriminatoires

Shirley White dit qu’on la traite comme une infirmière de deuxième classe parce qu’elle ne parle pas français

By JANE GEORGE

KUUJJUAQ — Au Nunavik, Shirley White est aussi précieuse qu’un diamant: c’est une Inuk et elle est infirmière certifiée.

Mais madame White est fatiguée d’être traitée d’infirmière de deuxième classe au Québec et ce, à l’hôpital Tulattavik de Kuujjuaq, qui pis est.

“Est-ce que je suis un morceau de bois? Les gens rejettent le fait que je sois une infirmière,” de dire cette femme découragée.

Madame White est outrée parce que son diplôme ainsi que sa maîtrise de l’inuttitut et de l’anglais ne semblent pas être respectés, et cela autant au niveau provincial que sur son lieu de travail.

En effet, l’Ordre des infirmiers et des infirmières du Québec impose une restriction sur son droit d’exercer sa profession au Québec parce que son attestation de membre en règle pour l’année 2002-2003 la limite à pratiquer sur une réserve indienne.

“Je pensais que les Inuit avaient droit à une dérogation de la loi 101, donc je ne comprends pas pourquoi mon attestation est annotée du message suivant: “Cette personne n’est autorisée à exercer sa profession que sur une réserve indienne.”

Mme White est justifiée de penser ainsi parce que dans la loi 101, la Charte de la Langue Française, il est dit que: “L’Assemblée nationale reconnaît aux Amérindiens et aux Inuit du Québec, descendants des premiers habitants du pays, le droit de maintenir et de développer leur langue et culture d’origine…”

Cette loi accorde en effet une dérogation aux Inuit ainsi qu’aux cris les exemptant de la plupart des dispositions de la loi dont le but est de promouvoir et protéger la langue officielle du Québec.

Mais cette dérogation ne s’applique aux Inuit que lorsqu’ils sont en terres Inuit ou sur les réserves indiennes.

Chaque membre de n’importe quel ordre professionnel au Québec est obligé de démontrer une connaissance du français parlé et écrit ainsi qu’une bonne compréhension de la langue.

Ceci explique pour quoi une infirmière autochtone qui ne remplit pas ces critères est limitée à travailler dans un établissement de santé en terrains autochtones.

Sylvie Vallières, l’attachée de presse de l’Ordre des infirmiers et des infirmières du Québec, disait qu’elle avait du mal à comprendre la différence entre les réserves indiennes et les communautés Inuit.

Mais elle admettait qu’il y avait peut-être une erreur dans l’attestation envoyée à Mme White et qu’on pourrait changer cette erreur à sa demande.

Toutefois Mme Vallières a maintenu que l’essentiel de la restriction sur l’attestation de Mme White ne changerait pas. Elle a produit les amendements à la Charte qui datent de 1993.

Ceux-ci permettent en effet à l’ordre de restreindre la pratique des Inuit qui ne parlent pas le français à des communautés Inuit ou aux réserves indiennes.

Puisque la santé tombe sous la juridiction du Québec, les lois fédérales n’offrent aucune protection à Mme White, nous dit une porte-parole de l’office du commissariat aux langues officielles du Canada.

Dans les années ‘80, alors que Mme White était une infirmière auxiliaire au Québec, son attestation n’avait pourtant aucune restriction. Elle avait donc poursuivi ses études au Cégep John Abbott où elle a reçu son diplôme en 1995.

Elle a toujours eu l’impression- qui ne s’avère pas – qu’elle pourrait pratiquer n’importe où au Canada comme infirmière.

Mme White ne compte pas déménager prochainement à Montréal, sauf si elle change d’idée, mais elle aimerait bien y travailler auprès des Inuit.

“C’est pour le principe de la chose que j’aimerais que la situation soit rectifiée,” dit-elle.

En même temps, les barrières linguistiques dans son lieu de travail augmentent la frustration qu’elle ressent dans sa pratique limitée.

“Dans ma communauté, on est censé être en majorité, mais aussitôt qu’on entre au travail, on est minoritaire,” témoigne-t-elle.

L’hôpital Tulattavik présente un caractère Inuit à ceux qui entrent dans l’édifice. La plupart des clients sont Inuit, mais la grande majorité du corps médical est francophone.

Généralement les médecins, infirmiers et infirmières parlent français entre eux, ce qui oblige Mme White à deviner ce qui se dit. En se parlant en français entre eux dans les situations d’urgence, ils ont réussi à l’isoler. Elle est la seule membre de l’équipe médicale qui ne comprend pas le français.

Il s’agit de “réponse automatique,” lui a-t-on expliqué par la suite.

“Je suis fatiguée de leur dire, “pouvez-vous parler anglais?” Lorsqu’ils viennent ici, lorsqu’ils font une demande d’emploi, ils sont censés parler anglais.”

Mme White pense que la plupart de ses collègues non-Inuit ne comprennent pas qu’ils sont dans le pays des Inuit même si le Nunavik se situe techniquement au Québec.

“On me dit, ‘mais les gens parlent souvent en Inuttitut et on ne les comprend pas.’ ”

Mme White souhaite que plus d’Inuit du Nunavik embrassent des professions en santé.

“Qu’est-ce qu’être infirmière si je me sens citoyenne de deuxième classe au travail?” s’interroge-t-elle.

Elle aimerait débattre de sa situation en cour, parce qu’elle pense que la loi actuelle empiète sur ses droits humains en tant que personne autochtone.

“C’est discriminatoire pour mes droits d’Inuit de m’obliger à pratiquer où le gouvernement veut au lieu d’où j’aimerais faire ma vie. Comment puis-je croire que le Québec travaille vraiment à accueillir les Inuit au sein de la société québécoise lorsqu’on impose de pareilles restrictions sur ma liberté de circuler professionnellement au Québec, qui est d’ailleurs ma province?”

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